Le projet de loi n°8586 portant modification de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration (le « Projet de loi ») a été déposé le 21 juillet dernier à la Chambre des députés.
Le Projet de loi vise à transposer en droit national la directive (UE) 2024/1233 du Parlement européen et du Conseil du 24 avril 2024[1], qui devra être transposée en droit national d’ici le 21 mai 2026 et dont les dispositions trouvent déjà un certain écho dans la version actuelle de la Loi.
Le Projet de loi propose tout de même plusieurs modifications significatives de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration (la « Loi »), dans le but d’adapter la réglementation aux défis actuels, notamment en matière de gestion des flux migratoires et d’intégration.
Assouplissement des conditions d’exercice du titre de séjour pour travailleur salarié
Réduction des délais de traitement : en premier lieu, et afin de se conformer aux nouvelles dispositions de la Directive, le Projet de loi entend ramener le délai de traitement d’une demande de titre de séjour pour travailleur salarié de quatre mois à 90 jours à compter de la date d’introduction de la demande complète. Une période supplémentaire de 30 jours peut s’y ajouter dans des circonstances exceptionnelles dûment justifiées (liées à la complexité de l’examen de la demande). Dans ce cas, le demandeur devra en être informé.
- Extension de la durée de validité : le Projet de loi entend par ailleurs étendre la durée de validité du titre de séjour pour travailleur salarié (accompagné de son autorisation de travail), jusqu’à présent limitée à une durée maximale (hors renouvellement) d’un an. La durée de validité initiale du titre de séjour passe à deux ans, renouvelable pour une durée maximale de quatre ans (au lieu de trois actuellement). En cas d’expiration du titre de séjour pendant la période de renouvellement, le ressortissant de pays tiers restera autorisé à séjourner et travailler au Luxembourg, jusqu’à ce que le ministère ait statué sur sa demande.
- Adaptation des modalités d’accès au marché de l’emploi : actuellement, la Loi prévoit une restriction d’accès au marché du travail pendant la première année d’emploi, le ressortissant de pays tiers titulaire d’un titre de séjour pour travailleur salarié ne pouvant pas travailler dans un autre secteur ni une autre profession que ceux pour lesquels il a été autorisé. Il peut néanmoins travailler pour tout employeur.
Face au constat qu’un nombre important de salariés ne commencent en réalité jamais à travailler pour l’employeur pour lequel le test du marché de l’emploi doit être effectué auprès de l’ADEM et présenté au ministère dans le cadre de la demande de titre de séjour, le Projet de loi entend désormais exiger, sous l’égide de la Directive, que le ressortissant de pays tiers travailleur salarié travaille pour une durée minimale de six mois pour le « premier employeur ».
Si cette formulation pourrait à notre sens être revue afin de désigner clairement l’employeur pour lequel le test du marché de l’emploi est présenté aux autorités de l’immigration, le changement a le mérite de vouloir mettre un terme à une pratique illégale.
A noter qu’un changement d’employeur avant l’expiration de cette période de six mois ne serait possible que dans des cas dûment justifiés de violation par l’employeur des « conditions de la relation de travail » (par exemple non-respect de la législation sur le temps de travail, du seuil minimal du salaire ou encore des conditions de santé et de sécurité au travail).
Au-delà de cette période de six mois, un changement d’employeur devient immédiatement possible (alors qu’il faut actuellement attendre un an selon la Loi), à condition qu’il soit notifié au ministère de l’immigration. Comme d’ores et déjà exigé par la version actuelle de la Loi, le ministère vérifiera alors que les conditions de l’article 42 (1) sont bien remplies, à savoir :
- Le fait qu’il ne soit pas porté préjudice à la priorité d’embauche des ressortissants nationaux et européens (test du marché de l’emploi) ;
- Le fait que l’exercice de l’activité servent les intérêts économiques du pays ;
- Le fait que le ressortissant de pays tiers dispose des qualifications professionnelles requises pour l’exercice de l’activité visée ;
- Le fait qu’il soit en possession d’un contrat de travail conclu pour un poste déclaré vacant à l’ADEM.
L’examen de la demande de changement d’employeur doit se faire endéans un délai de 30 jours, pendant lequel le droit de changer d’employeur est suspendu.
Titre de séjour et périodes de chômage : le Projet de loi instaure, sur base de la Directive, des règles applicables à la validité du titre de séjour pour travailleur salarié pendant des périodes de chômage, en adéquation avec les dispositions qui s’appliquent déjà pour les titres de séjour pour travailleurs hautement qualifiés (ou carte bleu européenne).
Ainsi, le titre de séjour pour travailleur salarié pourra être retiré ou son renouvellement refusé si la période totale de chômage dépasse :
- Trois mois lorsque le ressortissant de pays tiers détient son titre de séjour depuis deux ans ou moins ;
- Six mois si le ressortissant de pays tiers détient son titre de séjour depuis plus de deux ans.
Si le ressortissant de pays tiers retrouve un autre emploi endéans les périodes de chômages listées ci-avant, il restera autorisé à séjourner au Luxembourg dans l’attente que le ministère vérifie que les conditions légales pour changer d’employeur sont bien remplies, et ce même si la période de chômage autorisée est dépassée.
- Retrait du titre de séjour : finalement, le Projet de loi revoit les conditions dans lesquelles le titre de séjour pour travailleur salarié peut être retiré ou son renouvellement refusé. Ce sera le cas si :
- Le ressortissant de pays tiers ne dispose pas de ressources personnelles (i) pendant trois mois au cours d’une période de douze mois, s’il a séjourné au Luxembourg pendant moins de deux ans (contre trois ans actuellement), ou (ii) pendant six mois au cours d’une période de douze mois, s’il a séjourné au Luxembourg pendant au moins deux ans (contre trois actuellement) ;
- Le ressortissant de pays tiers ne respecte pas la procédure de notification au ministère d’un changement d’employeur durant les deux premières années d’emploi, ou s’il ne déclare pas ses périodes de chômage ;
- Le ressortissant de pays tiers ne dispose pas d’un contrat de travail pour un poste déclaré vacant auprès de l’ADEM dans le cadre d’une demande en renouvellement de son titre de séjour ;
- Le ressortissant de pays tiers ne respecte pas la condition de durée minimale de six mois pour le changement d’employeur.
Suppression du titre de séjour pour investisseur
Le Projet de loi entend purement et simplement supprimer la section de la Loi relative au titre de séjour pour investisseur.
Cette proposition fait suite à un constat sans appel : après avoir été introduit en 2017, le titre de séjour pour investisseur n’a pas eu le succès escompté, alors que seuls neuf ressortissants de pays tiers se sont vu délivrer un titre de séjour pour investisseur en huit ans.
Renforcement des conditions de délivrance d’une autorisation de séjour de membre de famille d’un ressortissant de pays tiers
Actuellement, la Loi permet aux bénéficiaires d’une protection internationale (notamment les réfugiés) de demander aux autorités luxembourgeoises le regroupement des membres de leur famille, à savoir :
- Le conjoint ;
- Le partenaire de PACS ;
- Les enfants célibataires de moins de 18 ans, à condition d’en avoir le droit de garde et la charge, ou en cas de garde partagée, à condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord ;
- Les ascendants en ligne directe au premier degré, lorsqu’ils sont une charge et sont privés du soutien familial dans leur pays d’origine ;
- Les enfants majeurs célibataires, lorsqu’ils sont objectivement dans l’incapacité de subvenir à leurs propres besoins en raison de leur état de santé ;
- le tuteur légal ou tout autre membre de la famille du mineur non accompagné, bénéficiaire d'une protection internationale, lorsque celui-ci n'a pas d'ascendants directs ou que ceux-ci ne peuvent être retrouvés.
Dans le cadre de sa demande de regroupement familial, le bénéficiaire de protection internationale doit actuellement démontrer (i) qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour lui et sa famille, (ii) qu’il dispose d’un logement approprié pour lui et sa famille, et (iii) qu’il dispose d’une assurance maladie pour lui et sa famille.
La loi prévoit toutefois que ces trois conditions ne s’appliquent pas dès lors que la demande de regroupement familial est introduite endéans les six mois suivant l’octroi de la protection internationale.
Face à l’afflux important de ressortissants de pays tiers membres de famille d’un bénéficiaire d’une protection internationale (1.409 titres de séjour émis sur les trois dernières années), le Projet de loi entend durcir les conditions de délivrance de ce titre de séjour.
Ainsi, l’exemption actuellement prévue par la Loi (et donc la non-application des trois conditions listées ci-avant) sera limitée au regroupement familial (i) du conjoint ou partenaire de PACS du demandeur, à condition que le mariage ou le PACS soit antérieur à l’entrée sur le territoire du regroupant, et (ii) aux enfants célibataires de moins de 18 ans, tels que définis plus haut.
[1] Directive (UE) 2024/1233 du Parlement Européen et du Conseil du 24 avril 2024 établissant une procédure de demande unique en vue de la délivrance d’un permis unique autorisant les ressortissants de pays tiers à résider et à travailler sur le territoire d’un Etat membre et établissant un socle commun de droits pour les travailleurs issus de pays tiers qui résident légalement dans Etat membre.
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